Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

samedi 3 novembre 2018

L'adieu aux armes






"Devant nous, à droite, la route tournait et, en regardant en bas, je pouvais la voir dégringoler à travers les arbres. Il y avait des troupes sur cette route et des camions et des mules avec de l'artillerie de campagne et, tandis que nous descendions, rangés sur le côté, je voyais la rivière, tout en bas, la ligne des traverses et des rails qui la longeait, le vieux pont du chemin de fer, et plus loin, au pied d'une colline, au-delà de la rivière, les maisons démolies de la petite ville dont nous devions nous emparer".

      L'Adieu aux armes est un roman qui commence comme un roman sur la guerre et finit comme un roman d'amour. Le lecteur y trouve les thèmes chers à Hemingway : la guerre et l'amour donc, mais aussi le courage (aussi bien dans la guerre qu'en amour), l'héroïsme, la force des idéaux politiques (confrontés à la réalité), enfin la douceur de vivre -italienne ici. 
      Frédéric Henry est un jeune Américain, engagé volontaire dans les ambulances sur le front italien. Le regard distancié (au coeur des atrocités des combats mais non combattant lui-même) qu'il porte sur cette guerre européenne (une guerre de "l'Ancien monde") permet à l'auteur d'interroger implicitement le lecteur sur des combats dont l'apparente inutilité (et prévisibilité) installe un sentiment de résignation, voire de désespoir, aussi bien sur le front qu'à l'arrière. 
      Cette face sombre du roman (dont l'acmé est constitué par la bataille de Caporetto 1) est adoucie par l'histoire d'amour entre Frédéric Henry et Catherine Barkley, infirmière anglaise. L'irritante Catherine, aurais-je envie d'écrire:

"- Je suis une petite femme toute simple, dit Catherine.
- Je ne le croyais pas au début. Je croyais que tu étais folle.
- J'étais un peu folle. Mais je n'étais pas folle d'un manière compliquée. Je ne t'ai jamais déconcertée, hein, mon chéri ?
- Le vin est une grande chose, dis-je. ça vous fait oublier tout ce qui est mauvais".

      Il n'est pas question ici de dévoiler la fin du roman. Cependant cette histoire d'amour apporte un contrepoint au récit de guerre : comment, et pourquoi, aimer alors que règne la violence et que celle-ci ne semble pas devoir finir ? N'est-il pas trop humain et très dérisoire de vouloir vivre simplement, de rechercher de petits plaisirs quotidiens, boire un verre (plutôt plusieurs, foi d'Hemingway) avec des amis ou l'être aimé, se promener dans un parc, assister à des courses de chevaux... Et surtout, ces histoires qui auraient dues être parallèles finissent par avoir des trajectoires croisées : le pessimisme lié à la guerre se teinte d'espoir avec une possible intervention américaine, alors que l'optimisme lié à l'amour décline face aux duretés de la vie.


      Le lecteur assidu de Faulkner, ayant en mémoire les controverses qui opposèrent les deux auteurs, ne peut s'empêcher de relever quelques passages :

 "En septembre, les nuits fraîchirent. Les journées étaient fraîches aussi et, dans le parc, les arbres commençaient à changer de couleur. Nous comprîmes alors que l'été était fini".
"Je m'éveillai quand Rinaldi rentra, mais il ne me parla pas et je me rendormis. Le matin j'étais habillé et parti avant le jour, et Rinaldi ne se réveilla pas quand je partis".

      Pour autant, l'Adieu aux armes est une agréable lecture, un roman dont les personnages sont attachants, une petite histoire s'inscrivant dans la grande Histoire.


   Caporetto, troupes italiennes.



1- Caporetto, un nom tout juste évoqué dans le roman, mais dont l'onde de choc se fera ressentir quelques années plus tard.