Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

samedi 3 mars 2012


 (E. Curtis)




"Pour qui lit The Sound and the Fury pour la première fois, il n'est pas sûr que le plaisir soit d'emblée au rendez-vous. Voici un texte qui, semble-t-il, n'a cure de ses lecteurs et refuse tout contrat de lecture. On peut, en un premier temps, s'y aventurer sans boussole et consentir à s'y perdre, aller de surprise en surprise et trouver son bonheur dans un étonnement de lecture toujours renouvelé, mais pour le lire de manière moins hasardeuse, pour s'y retrouver dans son savant désordre, il nous faudra chercher patiemment la règle de son dérèglement" (1).

 Pour la nième fois, je relis cette oeuvre  majeure de la littérature américaine. Dans le désordre, c'est à dire dans l'ordre chronologie. Et, encore une fois, je prends plaisir à souffrir avec les héros malheureux de ce roman. Car la question qui se pose au lecteur qui aborde The Sound and The Fury est bien celle du sens de la lecture. S'y perdre sans boussole et se laisser porter par le rythme, les mots, les images et les impressions narratives, est une solution. Ce n'est pas la plus facile car elle demande au lecteur un peu de persévérance et d'abandon. Lire dans l'ordre chronologique (comme je le fais actuellement) est une autre solution, de facilité. Les personnages, plus facilement identifiés, éclaircissent des faits du passé, dans des monologues où transparaissent leur caractère : Quentin le "déboussolé", Jason "l'ignoble pathétique",... Mais, cette simplicité de lecture amoindrit en contrecoup la force du roman : la mise en abîme d'événements que le lecteur découvre en pointillé, à travers ce que chacun des personnages veut bien en dire. Sans que l'on soit toujours bien sûr que ce soit la vérité. Non, décidément, il faut lire The Sound and the Fury dans l'ordre choisi par l'auteur, et se laisser envahir par son désordre.

"Pourrais-je penser à autre chose ai-je jamais pensé à autre chose Le garçon quitta la rue. Il escalada une palissade sans regarder derrière lui et traversa la pelouse jusqu'à un arbre où il posa sa canne, et il grimpa dans la fourche de l'arbre et s'y assit, le dos à la route, le soleil moucheté immobile enfin sur la blancheur de sa chemise. Jamais pensé à autre chose je ne peux même pas pleurer je suis morte l'an dernier je te l'ai dit mais je ne savais pas alors ce que je voulais dire je ne savais pas ce que je disais Chez nous, à la fin août, il y a des journées semblables, un air léger, aussi vif, avec quelque chose de triste, de nostalgique, de familier. L'homme, somme de ses expériences climatériques, disait papa. Homme, somme de tout ce que vous voudrez. Problème sur les propriétés impures qui se déroule fastidieusement jusqu'en un néant invariable. Désir et poussière : situation du joueur pat. Mais maintenant je sais que je suis morte je te le dis"  (Quentin).

"La voix de Ben n'était que rugissements. Quennie se remit en marche, et, de nouveau, ses pattes reprirent leur clic-clac régulier. Ben se tut aussitôt. Luster, rapidement, jeta un coup d'oeil derrière lui, puis continua sa route. Le fleur brisée pendait au poing de Ben, et ses yeux avaient repris leur regard bleu, vide et serein, tandis que, de nouveau, corniches et façades défilaient doucement de gauche à droite ; poteaux et arbres, fenêtres et portes, réclames, tout dans l'ordre accoutumé".






1 BLEIKASTEN A., "Lire The Sound and the Fury : la part de l'indécidable", Etudes anglaises, 2002/4, tome 55, p. 408-417.

FAULKNER W., Le bruit et la fureur, "Folio", Gallimard, 1972