Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

lundi 1 octobre 2012

Triste Amérique

(Brent Bergherm)


"Est-ce que c'est ça, l'amour ?", dit l'un des personnages de ce recueil de nouvelles (1). Cette interrogation, R. Carver la laisse planer sur tout le livre, au fil des histoires. Une Amérique triste que celle dépeinte par l'auteur, où les personnages, souvent pathétiques, semblent errer dans leurs vies, buvant pour oublier, aimant par habitude, jusqu'à ce que la lassitude prenne le dessus. Le quotidien se charge d'user le rêve américain. A travers ces différentes histoires, R. Carver nous livre des tranches de vie sensibles, jusqu'à la cruauté parfois ("Une petite douceur", "Toute cette eau si près de chez nous"), mais profondément humaines. Des hommes et des femmes qui vivent dans un monde où le rêve n'est que l'envers de la vie réelle. Une écriture claire, précise, sans effet, rend les personnages attachants : l'histoire la plus banale fait ressortir l'humanité de ces hommes et femmes, leurs faiblesses, leurs failles et, toujours, cette recherche perpétuelle de l'amour.

(1) Carver Raymond, Débutants, coll. "oeuvres complètes 1", Editions de l'Olivier, 2010.




dimanche 23 septembre 2012

Encore des comparaisons !

J'aime toujours autant les comparaisons des auteurs américains. Voici ma dernière récolte :


L'histoire se passe à Salt Lake City, patrie des Mormons.

"Voici comment ça se passe. Un jour, on vit tranquillement sa vie, on ne se sent pas tellement bien mais pas tellement mal non plus. Et puis on l'attrape, la mormonite. On ne peut plus supporter ça. On a l'impression d'être une mouche dans un livre de prière. Tout le poids de Salk Lake s'abat sur vous".

" Sur ces mots, Tom sortit et la lumière vive de la journée sembla se refermer sur lui comme une main".

" Elle était morte soudainement, tombant à genoux au milieu de la foule qui se dispersait, laissant échapper de son sac à provisions un unique chou qui avait roulé sur le trottoir comme une petite tête décapitée".


 
 Du Sang sur l'Autel de Thomas H. Cook, Points.

dimanche 5 août 2012

Hemingway contre Fitzgerald






" En Hemingway, Fitzgerald voyait l'homme idéal qu’il ne serait jamais : courageux, stoïque, maître de lui-même et de son destin. En Fitzgerald, Hemingway aimait la vulnérabilité et le charme que son moi idéal l’obligeait à mépriser. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour écrire une histoire captivante : la quête semée d’humiliations d’un écrivain pour gagner d’un auteur au cœur de pierre. "
Deux écrivains, deux hommes, une amitié qui tourne mal. Tout avait pourtant si bien commencé : le Paris des années 1920, où se rencontrent les plus brillants jeunes Américains, de John Dos Passos à Gertrude Stein ; Francis Scott Fitzgerald, le talentueux auteur de Gatsby le Magnifique ; Ernest Hemingway, qui cherche à publier son premier livre. Fitzgerald l’aide. Hemingway ne lui pardonnera pas".

Lecture d'été : ce livre est une plongée émouvante dans les relations compliquées entretenues par deux des plus grands auteurs américains, Hemingway et Fitzgerald.  Amitié, rivalité littéraire, jalousie, mais aussi argent, alcool... chaque épisode de la vie de l'un trouve une résonance dans la vie de l'autre. 
"Chacun faisait ressortir le pire chez l'autre" (M. Strater).

S. Donaldson , Hemingway contre Fitzgerald, Les Belles Lettres, 2003.








"Gatsby avait foi en cette lumière verte, en cet avenir orgastique qui chaque année recule devant nous. Pour le moment, il nous échappe. Mais c'est sans importance. Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus avant... Et un beau matin...  Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé".







"Robert Jordan les vit sur la pente, tout près de lui maintenant, et, au-dessous de lui, il voyait la route et le pont et les longues files de véhicules. Il était complètement conscient et il regarda bien et longuement toutes choses. Puis il tourna les yeux vers le ciel. Il y avait de gros nuages blancs. Il toucha de la paume les aiguilles de pin sur lesquelles il était étendu et l'écorce du pin derrière lequel il était allongé. Puis il se cala aussi commodément qu'il put, ses deux coudes dans les aiguilles de pin et le canon de la mitraillette appuyé au tronc de l'arbre."

lundi 23 juillet 2012

Point Omega





"La vraie vie n'est pas réductible à des mots prononcés ou écrits, par personne, jamais. La vraie vie a lieu quand nous sommes seuls, à penser, à ressentir, perdus dans les souvenirs, rêveusement conscients de nous-mêmes, des moments infinitésimaux"

Deux histoires en une.
New York. Un homme assiste, jour après jour, à la projection, au ralenti, de 24 Hour Psycho (cliquer ici). Souvent seul.
Une rencontre étrange entre un auteur de documentaire et un universitaire à la retraite, bientôt rejoints par la fille de celui-ci. Au coeur du désert.
D'habiles variations sur le pouvoir des mots et des images qui nous entraînent au plus profond de l'âme humaine. Un roman court (138 p), mais intense.




"Le jour finit par se transformer en nuit mais c'est une affaire de lumière et d'obscurité, pas de temps qui passe, de temps mortel. Rien à voir avec la terreur habituelle. Ici, c'est différent, le temps est énorme, voilà ce que je ressens ici, de manière palpable. Un temps qui nous précède et nous survit".

"Nous sommes une foule, une masse. Nous pensons en groupes, nous voyageons en armées.Les armées portent le gène de l'autodestruction. Une seule bombe ne suffit jamais. Le brouillard de la technologie, c'est là que les oracles complotent leurs guerres. Parce que l'heure est désormais à l'introversion. Le Père Teilhard connaissait une chose, le point oméga. Un bond hors de notre biologie. Posez-vous cette question. Devons-nous rester éternellement humains ? La conscience est à bout de forces."
Pour le "point oméga", cliquer ici

Don DeLillo, Point Omega, Actes Sud, 2010.

vendredi 11 mai 2012

Faulkner

Parce ce que ce blog n'existerait pas sans l'attachement de mon ami Ratcliff à Faulkner et parce ce que je ne sais pas si il a prit le temps de voir cette vidéo :


François Busnel et Dean Faulkner discutent, assis sur les marches de la maison de William Faulkner, 
celle-là même qui ouvre ce blog !



Maison d'Hemingway, Floride.

Voici la maison, dans laquelle vécut Ernest Hemingway de 1931 à 1940 :




lundi 9 avril 2012

Le Sud, toujours le Sud !

"L'écrivain sudiste ne peut plus, littéralement ou métaphoriquement, revenir au pays natal (home), car ce lieu n'existe plus que dans ses souvenirs ou dans les oeuvres nées de son imagination. Le Sud est bien devenu un de ces "pays lointain" où l'on n'accède plus que par les voies du langage, de l'écriture et de l'imaginaire" 1.

...et de la photographie !

http://donnorrisphotography.com/enter
"Southern vernacular"

 http://docsouth.unc.edu/index.html




avec un peu de musique :

http://www.youtube.com/watch?v=-86eg1YfR1U

 http://www.youtube.com/watch?v=MUW4LYEJyks&feature=related

 et pour finir, un petit voyage en train : Orange Blossom Special :

http://www.youtube.com/watch?v=fyVZXC1mZrY&feature=related



1 Paul Carmignani, "Du Yoknapatawpha au Mare Nostrum : itinéraire d'un américaniste", Revue française d'études américaines, 2600/3 n°109, p 8-26.

samedi 3 mars 2012


 (E. Curtis)




"Pour qui lit The Sound and the Fury pour la première fois, il n'est pas sûr que le plaisir soit d'emblée au rendez-vous. Voici un texte qui, semble-t-il, n'a cure de ses lecteurs et refuse tout contrat de lecture. On peut, en un premier temps, s'y aventurer sans boussole et consentir à s'y perdre, aller de surprise en surprise et trouver son bonheur dans un étonnement de lecture toujours renouvelé, mais pour le lire de manière moins hasardeuse, pour s'y retrouver dans son savant désordre, il nous faudra chercher patiemment la règle de son dérèglement" (1).

 Pour la nième fois, je relis cette oeuvre  majeure de la littérature américaine. Dans le désordre, c'est à dire dans l'ordre chronologie. Et, encore une fois, je prends plaisir à souffrir avec les héros malheureux de ce roman. Car la question qui se pose au lecteur qui aborde The Sound and The Fury est bien celle du sens de la lecture. S'y perdre sans boussole et se laisser porter par le rythme, les mots, les images et les impressions narratives, est une solution. Ce n'est pas la plus facile car elle demande au lecteur un peu de persévérance et d'abandon. Lire dans l'ordre chronologique (comme je le fais actuellement) est une autre solution, de facilité. Les personnages, plus facilement identifiés, éclaircissent des faits du passé, dans des monologues où transparaissent leur caractère : Quentin le "déboussolé", Jason "l'ignoble pathétique",... Mais, cette simplicité de lecture amoindrit en contrecoup la force du roman : la mise en abîme d'événements que le lecteur découvre en pointillé, à travers ce que chacun des personnages veut bien en dire. Sans que l'on soit toujours bien sûr que ce soit la vérité. Non, décidément, il faut lire The Sound and the Fury dans l'ordre choisi par l'auteur, et se laisser envahir par son désordre.

"Pourrais-je penser à autre chose ai-je jamais pensé à autre chose Le garçon quitta la rue. Il escalada une palissade sans regarder derrière lui et traversa la pelouse jusqu'à un arbre où il posa sa canne, et il grimpa dans la fourche de l'arbre et s'y assit, le dos à la route, le soleil moucheté immobile enfin sur la blancheur de sa chemise. Jamais pensé à autre chose je ne peux même pas pleurer je suis morte l'an dernier je te l'ai dit mais je ne savais pas alors ce que je voulais dire je ne savais pas ce que je disais Chez nous, à la fin août, il y a des journées semblables, un air léger, aussi vif, avec quelque chose de triste, de nostalgique, de familier. L'homme, somme de ses expériences climatériques, disait papa. Homme, somme de tout ce que vous voudrez. Problème sur les propriétés impures qui se déroule fastidieusement jusqu'en un néant invariable. Désir et poussière : situation du joueur pat. Mais maintenant je sais que je suis morte je te le dis"  (Quentin).

"La voix de Ben n'était que rugissements. Quennie se remit en marche, et, de nouveau, ses pattes reprirent leur clic-clac régulier. Ben se tut aussitôt. Luster, rapidement, jeta un coup d'oeil derrière lui, puis continua sa route. Le fleur brisée pendait au poing de Ben, et ses yeux avaient repris leur regard bleu, vide et serein, tandis que, de nouveau, corniches et façades défilaient doucement de gauche à droite ; poteaux et arbres, fenêtres et portes, réclames, tout dans l'ordre accoutumé".






1 BLEIKASTEN A., "Lire The Sound and the Fury : la part de l'indécidable", Etudes anglaises, 2002/4, tome 55, p. 408-417.

FAULKNER W., Le bruit et la fureur, "Folio", Gallimard, 1972

jeudi 16 février 2012

Où tout est dit avec talent !

Pas besoin de long discours pour certains auteurs américains. Une intrigue complexe mais un style simple et tout est dit ! La preuve avec Thomas H. Cook et Au lieu-dit Noir-Etang (Éditions Seuil) :

"Je n'oublierai jamais les quelques heures qui suivirent, le lent glissement de la barque le long du lit étroit de la rivière, entre deux murs de verdure, M. Reed maniant les rames, Melle Channing face à lui à l'autre extrémité de l'embarcation, sa main droite baissée vers l'eau qu'elle fendait du bout d'un doigt, laissant une traînée luisante sur sa surface si lisse. 
En cet instant, elle me paraissait plus belle qu'aucune femme ne l'avait été et ne le serait jamais. Je pris mon carnet à dessins et commençai à crayonner son portrait, comptant cette fois lui faire plaisir, la représenter telle qu'elle était réellement. Elle jetait un regard vers la gauche au moment où je commençais à dessiner son profil tandis qu'elle suivait des yeux une mouette qui se dandinait sur la rive. Tournant la tête vers moi, elle remarqua alors le carnet ouvert sur mes genoux, le fusain dans ma main, mon regard concentré sur elle. Ses traits se crispèrent, comme si elle pensait qu'on m'avait envoyé pour consigner sa présence dans la barque afin de l'utiliser par la suite comme preuve contre elle.
-Non, Henry, objecta-t-elle.
-Mais je ne ...
Elle secoua résolument la tête, me fixant sans ciller de ce regard d'acier que, plus tard, Me Parsons associerait à la froideur de son coeur.
-Non, répéta-t-elle fermement. Pose ça.
Je jetai un coup d’œil  à M. Reed, le vis éviter mon regard, porter son attention sur le courant devant nous, clairement peu enclin à la contrarier
- Bien, mademoiselle, répondis-je, refermant le carnet et le posant à côté de moi sur le banc. 
Il y eut, après cela, un silence interminable, Melle Channing immobile sur son siège tandis que nous glissions sur l'eau, la barque progressant à présent dans un labyrinthe de passes étroites, M. Reed tirant soudain plus férocement sur les rames, comme s'il cherchait déjà à échapper à la main terrible d'un poursuivant."
 

lundi 30 janvier 2012

Comparaisons suite

Quelques comparaisons tirées de Joyce Carol Oates, Les Chutes :

"Il produisait une impression, forte comme un after-shave, d'inaction frénétique et bien intentionnée."

Une très belle comparaison dans laquelle on voit que Joyce Carol Oates à une belle connaissance de la psychologie féline :

"Dirk lui toucha le bras, mais elle se déroba avec grâce. Comme une chatte se dérobe à la caresse de quelqu'un par qui elle ne veut pas être touchée à ce moment précis, mais qu'elle ne souhaite pas offenser parce qu'il pourrait être utile plus tard. "

jeudi 12 janvier 2012

Comparaisons

Les écrivains américains sont très doués pour les comparaisons. J'avoue n'en n'avoir jamais trouvé de vraiment originales chez les auteurs français. 

En voici trois tirées de Les Leçons du Mal de Thomas H. Cook :

"Il regardait de nouveau le verger, s'intéressant à présent à une rangée d'arbres particulièrement décrépits, aux branches noueuses dépourvues de feuilles. Ils faisaient penser à une file de vieillards affamés."

"Son visage fatigué s'était creusé de profondes rides d'expressions, tant sur le contour de sa bouche que sur son front qui, strié de sillons, faisait songer à un labour bâclé par un fermier qui ne respecterait pas sa terre."

"Brogan avait le visage rond, des oreilles qui jaillissaient comme deux champignons secs de chaque côté de sa tête."