Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

samedi 22 octobre 2011

Le Sud est un rêve d'éternité

"L'époque du Vieux Sud a été par excellence celle du "gentilhomme" et de la "dame". Les Anglais avaient légué au Sud un idéal social : celui du gentilhomme campagnard. Le riche planteur sudiste était un aristocrate pour qui l'expression "noblesse oblige" avait tout son sens, et qui n'imaginait pas de vie meilleure que celle qu'on menait sur sa vaste plantation. C'était aussi un homme dont le sens de l'honneur allait jusqu'au don-quichottisme. Nulle part ailleurs dans le monde, si ce n'est au Japon, une classe dominante ne se montra aussi ardemment attachée à un code de l'honneur tant "régional" que "personnel". Ce code conduisait parfois le gentilhomme à commettre des sottises, par exemple se battre en duel au moindre affront. Mais il développait en lui des qualités qui ont quasiment disparu de l'Amérique moderne : une courtoisie raffinée, une attitude chevaleresque, pour archaïque qu'elle paraisse, à l'égard des femmes, un sens délicieux de l'hospitalité, le goût de la conversation cultivée comme un art, l'entraînement aux vertus guerrières, telles que l'ardeur à se porter au combat dès que son pays ou sa région étaient menacés, la bravoure et l'endurance devant l'adversité."
Yves Berger, "Le Sud est un rêve d'éternité" in Splendeurs et misères du Sud profond vu par...les écrivains, Revue des Deux Mondes, avril 1999.


"Will Varner, qui était alors le propriétaire de l'Ancien domaine du Français, était le personnage le plus important du pays. C'était le plus gros propriétaire terrien, et l'administrateur de district dans son comté, le juge de paix dans le comté voisin et dans les deux le commissaire aux élections (...). Il était fermier, usurier, vétérinaire ; le juge Benbow de Jefferson disait de lui qu'on n'avait jamais vu un homme plus courtois saigner un mulet ou bourrer une urne. Il possédait la plus grande partie de la meilleure terre du pays et des hypothèques sur presque tout le reste. Il possédait le magasin, l'égreneuse à coton, le local qui servait à la fois de moulin à maïs et de forge, dans le village proprement dit (...). Il était mince comme un barreau de clôture et presque aussi long, avec des cheveux et une moustache roussâtres qui grisonnaient et de petits yeux durs et brillants d'un bleu ingénu ; il avait l'air d'un directeur d'école du dimanche méthodiste qui auraient contrôlé les billets dans un train de voyageurs pendant la semaine, ou l'inverse, et qui était propriétaire de l'église, ou peut-être du chemin de fer, ou peut-être des deux. Il était rusé, secret et jovial, avait un tour d'esprit rabelaisien et probablement encore une certaine vigueur sexuelle (...). Il était à la fois actif et paresseux ; il ne faisait absolument rien (son fils dirigeant toutes les affaires de la famille) et il y passait tout son temps, sorti avant même que le fils soit descendu prendre son petit déjeuner, parti on ne savait où sauf qu'on pouvait l'apercevoir sur son vieux cheval blanc et gras, un peu partout à quinze kilomètres à la ronde, à n'importe quelle heure ; et, au moins une fois par mois, au printemps, en été et au début de l'automne, le vieux cheval blanc attaché à un piquet de clôture à proximité, on pouvait le voir assis dans un fauteuil de fabrication maison posé sur la pelouse du domaine du Français maintenant envahie par une jungle de mauvaises herbes. (...) "J'aime venir m'asseoir ici. J'essaie d'imaginer ce que pouvait ressentir l'imbécile qu'avait besoin de tout ça (il ne faisait pas un geste, n'indiquait pas de la tête la montée de terrain derrière lui, vieilles briques et allées d'herbes enchevêtrées, le tout dominé par la ruine à colonnade), uniquement pour manger et dormir"."
William Faulkner, Le hameau.

Cardcow.com

mercredi 19 octobre 2011

Petites villes sur le déclin

Street Scene, Library of Congress

"Nous nous trouvons dans Church Street à longer le réseau de voies ferrées qui divise la ville de Railton en deux moitiés aussi vétustes et repoussantes l'une que l'autre. On dénombre à cet endroit un maximum de vingt voie parallèles, bloquées pour la plupart par un ou deux wagons rouillés. il y a un siècle, chaque voie aurait compté un train. La ville de Railton était en plein essor, et ses citoyens, confiants en l'avenir. C'est terminé. Malgré son nom, il n'y a plus une seule église sur Church Street, où nous sommes encore bloqués au carrefour. Alors qu'elle en comptait autrefois, à ce que l'on dit, une demi-douzaine. La dernière, une vieille chose de briques rouges décrépites, depuis longtemps désaffectées et couvertes de planches, fut rasée l'an passé. Plusieurs enfants s'y étaient introduits et le plancher avait cédé sous leur poids. Il ne reste plus, à sa place, qu'un grand terrain vague. Railton compte tellement de terrains vides, couverts de détritus, à l'instar de ces étendues balayés par le vent entre les vieux wagons du réseau ferré, que l'espoir y semble interdit. Non loin de l'endroit où nous sommes -l'intersection de Pleasant Street- un homme du nom de William Cherry, qui toute sa vie a travaillé pour les chemins de fer Conrail, s'est suicidé il y a peu en s'allongeant sur une voie au milieu de la nuit. On pensa à tort qu'il faisait partie d'un groupe de travailleurs licenciés la semaine précédente. Il venait, en réalité,  de prendre sa retraite avec tous les bénéfices de sa profession (...) Lorsqu'il n'y a plus de voitures, teddy tourne à gauche sur Pleasant Street, la plus déplaisante de toutes les rues de Railton. De chaque côté se dresse une rangée de façades décaties. L'hiver, lorsqu'il neige, il est impossible de monter Pleasant Street en voiture, car la pente est trop raide. Nous sommes déjà début avril, mais je crains que la Civic de Teddy n'y arrive pas."
Richard Russo, Un rôle qui me convient.

Richard Russo est expert dans la description des petites villes américaines, souvent sur le déclin alors qu'elles ont connu de belles années. La force de l'imaginaire est là, toute "l'Amérique profonde" (sans intention péjorative) est présente dans ces quelques lignes.