Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

dimanche 14 juin 2015

Obama, un homme déchiré




"(Obama) ressemble à un vaincu, comme si, en 2008 et en 2012, il avait perdu la présidence au lieu de la conquérir. C'est triste à voir. Et, en un sens, il a effectivement perdu la présidence. Par deux fois, et plus nettement la seconde. A croire que ce boulot l'a écrasé, transformé en porte-parole officiel de la classe dirigeante politique et financière. Il paraît dénué de toute sincérité, de toute authenticité : un homme déchiré, une coquille vide. Il y a quelque chose de poignant dans son allure et son attitude défaites, et en même temps il y a là de quoi nous rendre furieux, nous qui l'avons ardemment soutenu en 2008 et réélu en 2012, même ceux d'entre nous qui n'étaient pas de gauche. D'un autre côté, cet effondrement apparent -de sa volonté, de son habileté rhétorique, de sa maîtrise du langage, de son charisme et de son charme, et donc de son autorité- donne la mesure des forces liguées contre lui et de l'incroyable impuissance de la présidence américaine actuelle. Beaucoup de chose échappent à son contrôle, et pourtant on attend tellement de lui. Cela oblige à se demander rétrospectivement dans quelle mesure George W. Bush, Bill Clinton, George Bush père et Ronald Reagan étaient vraiment responsables des actions ou de l'inaction qui ont marqué leurs mandats, à se demander s'ils n'étaient pas de simples Magiciens d'Oz, et quelle part de leur politique était façonnée par les mains invisibles et complices des multinationales, des médias, des lobbys et des groupes d'action politique financés par des fonds privés.

Russell Banks, "Pourquoi Obama a trahi", Le Nouvel Observateur, 8 au 11 janvier 2015.