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dimanche 29 avril 2018

L'enracinement









 "Un gouvernement qui emploie des paroles, des pensées trop élevées pour lui, loin d'en recevoir un éclat quelconque, les discrédite et se ridiculise".


Je ne sais pas si les élèves étudient encore Simone Weil (Weil, avec un W), ni même si cela était le cas auparavant. Il faut dire que la lecture, et la compréhension, de ce texte, L'enracinement, n'est pas facile. L'auteur écrit une prose sèche, qui peut paraître péremptoire parfois pour un lecteur contemporain. Et certaines idées prêtent aujourd'hui à sourire à l'heure de la mondialisation (les solutions pour les ouvriers par exemple).
Pourtant, il faut lire ou relire ce texte. Car au-delà des apparences, et bien qu'écrit en 1943, il traite d'un sujet on ne peut plus actuel, celui du besoin d'enracinement. L'auteur y rappelle qu'une société est une chose mortelle, comme une civilisation, une culture, une patrie ou une nation. Que l'accumulation de droits ne devrait être possible que pour autant que les devoirs y soient respectés et prédominants. Ou que le communautarisme n'est pas une fatalité pour peu que les communautés réelles soient respectées et encadrées. 
Un texte pour réfléchir sur l'évolution du monde d'aujourd'hui et de demain.


"L'Etat est une chose froide qui ne peut être aimée ; mais il tue et il abolit tout ce qui pourrait l'être ; ainsi on est forcé de l'aimer, parce qu'il n'y a que lui. Tel est le supplice moral de nos contemporains".




lundi 2 avril 2018

Crime et châtiment



"Comprenez-vous, Monsieur, comprenez-vous ce que cela signifie quand on n'a plus où aller ? La question que Marmeladov lui avait posée la veille lui revint tout à coup à l'esprit. Car il faut que tout homme puisse aller quelque part". 

S'attaquer à l’œuvre de Dostoïevski, Crime et châtiment, nécessite un peu de courage. Surtout lorsque le dernier contact avec la littérature russe date des années de faculté (autant dire le siècle dernier), avec Les âmes mortes de Gogol. Et puis, tous ces noms un peu difficiles à retenir, ces multiples prénoms, ces diminutifs qui n'en sont pas, ne facilitent pas la prise en main. Et comme pour toute œuvre considérée comme telle, le lecteur en attend beaucoup. Beaucoup trop ? A tort peut-être ? Raskolnikov est un être torturé. Le récit l'est aussi. Raskolnikov s'interroge sur le monde qui l'entoure, sur les êtres qu'il côtoie, sur ceux qui le croisent, sur le pouvoir, sur la volonté des hommes et les pouvoirs qui en découlent, sur les fragilités de l'âme humaine, sur la misère, sur les relations filiales... En fait, Raskolnokov nous donne à penser le monde tel qu'il le voit, ou mieux encore tel qu'il le ressent. De ce fait, de longs monologues sillonnent le roman (rien d'effrayant pour les Faulknériens) : la pensée laisse libre court à sa schizophrénie, sollicitant l'attention soutenue du lecteur. A l'heure de la vidéo, du tout-tout-de-suite, de l'immédiateté, de l'instantanéité, ces longs passages rebuteront les moins courageux des lecteurs. A tort. Il faut les lire, lentement. Certains passages, particulièrement réussis, semblent rythmés par les pulsations d'un cerveau qui entre en ébullition. La détresse et la fureur s'y mélangent. La misère aussi.
En dépit des innombrables rebondissements (E. SUE à Saint-Pétersbourg), le roman peut paraître inégal dans son rythme, un peu long diront certains. Les personnages sont bien campés, avec des descriptions qui se complètent de chapitre en chapitre. Les hommes (Raskolnikov, Loujine...) représentent souvent la part sombre de l'humanité ; les femmes (Dounia, Sonia...) souvent souffrent, mais amènent la rédemption. Les enfants sont les témoins et les victimes de ce monde russe où la misère broie inexorablement le petit peuple.
Au final, une œuvre dense, avec une intrigue qui donne un rythme assez soutenu au départ, mais qui s'alanguit peu à peu. Un roman à l'image de l'âme russe telle que les Occidentaux l'imaginent : passionnée et mélancolique à la fois, dure au mal, torturée, révoltée, mais humaine, profondément humaine.