Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

lundi 26 septembre 2011

Un Français à New York.


Broadway, New York City, 1916.
Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.


"Comme si j'avais su où j'allais, j'ai eu l'air de choisir encore et j'ai changé de route, j'ai pris sur ma droite une autre rue, mieux éclairée, "Broadway" qu'elle s'appelait. Le nom je l'ai lu sur une plaque. Bien au-dessus des derniers étages, en haut, restait du jour avec des mouettes et des morceaux du ciel. Nous on avançait dans la lueur d'en bas, malade comme celle de la forêt et si grise que la rue était pleine comme un gros mélange de coton sale.
C'était comme une plaie triste la rue qui n'en finissait plus, avec nous au fond, nous autres, d'un bord à l'autre, d'une peine à l'autre, vers le bout qu'on ne voit jamais, le bout de toutes les rues du monde.
Les voitures ne passaient pas, rien que des gens et des gens encore.
(...)
Tout à coup, ça s'est élargi notre rue comme une crevasse qui finirait dans un étang de lumière. On s'est trouvés là devant une grande flaque de jour glauque coincée entre des monstres et des monstres de maisons. Au beau milieu de cette clairière, un pavillon avec un petit air champêtre, et bordé de pelouses malheureuses. Je demandai à plusieurs voisins de la foule ce que c'était ce bâtiment-là, qu'on voyait mais la plupart feignirent de ne pas m'entendre. Ils n'avaient pas de temps à perdre. Un petit jeune, passant tout près, voulut bien tout de même m'avertir que c'était la Mairie, vieux monument de l'époque coloniale ajouta-t-il, tout ce qu'il y avait d'historique... qu'on avait laissé là... Le pourtour de cette oasis tournait au square, avec des bancs, et même on y était assez bien pour la regarder la Mairie, assis."

Céline, Voyage au bout de la nuit.


City Hall, New York City.
Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C.

New York, "la Ville", un sujet d'écriture en soi, avec les multiples perceptions possibles de l'écrivain. Celle de Céline n'est pas particulièrement gaie, ou réjouissante, restant en cela dans le ton pessimiste, désenchanté, de son roman "Voyage au bout de la nuit". Il restitue cependant bien la différence principale entre la grande ville européenne et la grande ville américaine : d'un côté, l'horizontalité ; de l'autre, la verticalité.

jeudi 22 septembre 2011

The Frontier

"The most important effect of the frontier has been in the promotion of democracy here and in Europe. As been indicated, the frontier is productive of individualism. Complex society is precipitated by the wilderness into a kind of primitive organization based on family. The tendency is anti-social. It produces antipathy to control, and particulary to any direct control (...)".
"There is not tabula rasa. The stubborn American environment is there with its imperious summons to accept its conditions ; the inherited ways of doing things are also there ; and yet, in spite of environment,  and in spite of custom, each frontier did indeed furnish a new field of opportunity, a gate of escape from the bondage  of the past ; and freshness, and confidence, and scorn of older society, impatience of its restraints ans its ideas, and indifference to its lessons, have accompanied the frontier".
Frederick Jackson Turner, The Significance of the Frontier (1894).

Une version "primitive" de l'opposition entre la jeune Amérique et la vieille Europe.

mardi 20 septembre 2011


Puritans Going to Church, 1867.
George H. Boughton (1833-1905).

Vision d'un monde déjà perdu et, comme souvent dans ce cas là, idéalisé.

mercredi 14 septembre 2011

Le Mississippi, une frontière.



"Poursuivant son discours, il dit qu'il était désormais convaincu, vu la nature des gens et notre type de gouvernement, que les Etats-Unis seraient le genre de nation à se voir soumise à des changements radicaux -voire des changements révolutionnaires et des bouleversements- au fur et à mesure que la population s'accroîtrait, que les rues et les villes deviendraient plus encombrées, et que les tensions économiques et sociales augmenteraient. L'un des changements probables concernait selon lui l'esprit et la substance même de la vie américaine, qui se verrait peu à peu privée de la vitalité essentielle et de la faculté d'anticipation nécessaires à la grandeur et la stabilité de toute nation. Avec un geste vers l'autre bord du fleuve, il ajouta qu'à son avis l'esprit et la substance indestructibles de la vie américaine seraient capables de l'emporter et de durer pendant de nombreuses générations à venir, pourvu qu'on leur donne la liberté de s'épanouir au coeur de la nation, à l'ouest du Mississippi."
E. Caldwell, A l'ouest du Mississipi (1976).

On retrouve dans ce passage 2 thèmes faulknériens : le fleuve (symbolisant tout à la fois une frontière ou le cours de la vie) et la faculté (pour une personne ou une civilisation) de "durer".

dimanche 11 septembre 2011

Pour commencer...

"Il parlait d'une voix si aimable, si nonchalante, si égale, qu'on ne saisissait pas tout de suite qu'il y avait en elle plus de sagacité encore que d'humour. C'était Ratliff, le représentant en machines à coudre. Il habitait Jefferson et il couvrait la plus grande partie de quatre comtés, voyageant avec son solide attelage et la niche à chien peinte dans laquelle était adroitement logée une vraie machine à coudre. Jour après jour et à deux comtés de distance, on voyait la carriole déglinguée et crottée et le solide attelage mal assorti attachés dans l'ombre la plus proche, et le visage impassible, affable, ouvert de Ratliff, avec sa chemise bleue bien propre sans cravate, au milieu d'un groupe d'hommes accroupis, dans un magasin à un  carrefour, ou bien -toujours accroupi et toujours disert en apparence, mais en réalité écoutant beaucoup plus qu'on ne le croyait, ce dont on ne s'apercevait que plus tard..."
W. Faulkner, Le hameau.
Dans notre monde de l'information et de la communication, pratiquement instantanées, sait-on encore prendre le temps d'écouter ?

Frontière

"De chapitre en chapitre, ce livre a atteint une grande frontière nommée 1900. Cent ans de plus, barattés et moulus, pétrifiés par le calcaire du souvenir. Cent ans que les hommes modelaient à leur guise et, plus l'époque était lointaine, plus elle était riche et pleine de signification. C'était le bon vieux temps, heureux, doux et simple, jeune et audacieux, celui qui avait laissé la plus belle empreinte sur les neiges du monde. Les vieillards, qui ne savaient pas si leurs pas chancelants les conduiraient jusqu'à la frontière du siècle, considéraient avec dédain ces années étrangères. Car le monde changeait et la douceur de vivre avait disparu et la vertu avec elle. L'inquiétude s'emparait d'un monde corrodé. Qu'allait-on perdre? Les bonnes manières, la facilité et la beauté ? les dames n'étaient plus des dames. La parole d'un homme n'avait plus de valeur."
J. Steinbeck, A l'est d'Eden  (1952).

A chaque génération sa frontière, délimitée par ce moment où, fatigué, on s'assied sur le bord du chemin pour regarder les plus jeunes poursuivre cette aventure qu'est la vie.