Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

mardi 29 novembre 2011

In Cold Blood

Kansas

Truman Capote

"La sinistre nouvelle, annoncée du haut des chaires d'églises, répandue par les fils téléphoniques, rendue publiques par KIUL, la station de radio de Garden City ("Une tragédie, incroyable et bouleversante au-delà de toute expression, a frappé quatre membres de la famille Herb Clutter, tard dans la nuit de samedi ou de bonne heure aujourd'hui. Lamort, brutale et sans mobile apparent..."), produisit chez le destinataire moyen une réaction proche de celle de la mère Truitt que de celle de Mrs Clare : un étonnement qui se changea en consternation ; une superficielle sensation d'horreur qu'approfondirent rapidement les sources de la peur individuelle.
Le café Chez Hartman, qui comprend quatre tables grossièrement faites et un comptoir, ne pouvait recevoir qu'une partie des causeurs effrayés, des hommes pour la plupart, qui désiraient s'y rencontrer. La propriétaire, Mrs. Bess Hartman, femme décharnée et pas sotte, aux cheveux gris et or coupés court et aux yeux verts pleins d'autorité, est une cousine de Mrs. Clare, la receveuse des postes, dont elle peut égaler, sinon surpasser, la franchise. "Y a des gens qui disent que je suis une dure à cuire, mais pour sûr que l'histoire des Clutter m'a coupé le sifflet, dit-elle par la suite à une amie. Imagine quelqu'un qui fasse un truc comme ça ! La première fois que j'en ai entendu parler, comme tout le monde s'engouffrait ici en racontant toutes sorte d'histoires effarantes, j'ai d'abord pensé à Bonnie. Bien sûr, c'est idiot, mais on ne connaissait pas les faits, et bien des gens pensaient que, peut-être, à cause de ses crises. Maintenant, on ne sait plus quoi penser. Ça a dû être un meurtre de vengeance. Fait par quelqu'un qui connaissait la maison comme sa poche. Mais qui haïssait les Clutter ? Je n'ai jamais entendu dire un mot contre eux ; c'était une famille aussi bien en vue qu'il est possible de l'être, et si quelque chose comme ça pouvait leur arriver à eux, alors, qui est en sécurité, je te le demande."
      De Sang Froid, Truman Capote, éditions Folio.

 A noter :  Philip Seymour Hoffman, a reçu l'oscar du meilleur acteur pour son rôle de Truman Capote, dans le film réalisé par Bennett Miller.
A découvrir : la correspondance de Truman Capote : Un plaisir trop bref, 10/18.

lundi 28 novembre 2011

A propos de Carson McCullers

A 23 ans, Carson McCullers publie son premier roman, devenu aujourd'hui un incontournable de la littérature américaine. Voilà ce qu'en dit Denis de Rougemont, dans sa préface à l'édition du Livre de Poche :

"Je me suis demandé souvent : quel est le sujet de ce roman ? Point d'intrigue, et pourtant une construction serrée, comme celle d'un motet à cinq voix qui se signalent et se posent une à une, se cherchent, se rencontrent une seule fois, mais dans une dissonance douloureuse, puis s'éloignent et l'une après l'autre se brisent ou se perdent inexorablement dans la rumeur informe de la vie quotidienne. Une longue suite d'incidents sourdement émouvants, avec quelques éclats de beauté insolite (comme la promenade de Baby) qui finissent tous dans un geste mortel, coupant, atroce ? Est-ce que le sujet serait la solitude, la frustration ? Ou bien l'enfance plus sérieuse et plus métaphysique que l'âge adulte ? (Les scènes et les dialogues d'enfants sont d'une justesse rarement atteinte, même chez les romanciers anglais). Ou bien encore le problème noir ? Ou simplement la description d'une petite ville pauvre du Sud ? Ou bien toutes ces choses à la fois ?

Affiche du film tiré du roman de Carson McCullers, (Warner Bros).

samedi 26 novembre 2011

Alexandre Pouchkine

 La 9ème vague, Ivan Aivazovsky



Pressentiment

Les nuages silencieux
Sur ma tête à nouveau s'amassent,
Désormais le sort envieux
D'un nouveau malheur me menace.
Saurai-je encore avec dédain,
Comme jadis dans ma jeunesse,
Affronter ce cruel destin
Patiemment et sans faiblesse ?
Mais avant que le sort se venge,
Avant l'heure que j'entrevois,
J'ai hâte de serrer, mon ange,
Ta main pour la dernière fois.
Que tes yeux se lèvent, se baissent,
Mon ange tendre et radieux,
Que tu m'attristes et m'adresses
Doucement un seul mot d'adieu,
Ton souvenir vivant, sans cesse,
Saura remplacer dans mon coeur
La fierté, l'espoir, la vigueur,
Le courage de ma jeunesse.


A. Pouchkine (1828).
traduction Katia Granoff, Anthologie de la poésie russe, Gallimard.


lundi 14 novembre 2011

Edward Hopper

Nighthawks, E. Hopper (1942).

"Regardant les deux hommes se lever, il comprit que Jimmy avait inventé cette histoire de reflets sur la vitre qui l'empêchaient de voir à l'intérieur. De l'autre côté de la fenêtre, la scène se détachait avec l'austère simplicité d'un tableau d'Edward Hopper".
Richard Russo, Le déclin de l'Empire Whiting (2001).

Musique : Tom Waits, Emotional weather Report from Nighthawks at The diner.
http://www.youtube.com/watch?v=nYA1qZ2lZOY

samedi 22 octobre 2011

Le Sud est un rêve d'éternité

"L'époque du Vieux Sud a été par excellence celle du "gentilhomme" et de la "dame". Les Anglais avaient légué au Sud un idéal social : celui du gentilhomme campagnard. Le riche planteur sudiste était un aristocrate pour qui l'expression "noblesse oblige" avait tout son sens, et qui n'imaginait pas de vie meilleure que celle qu'on menait sur sa vaste plantation. C'était aussi un homme dont le sens de l'honneur allait jusqu'au don-quichottisme. Nulle part ailleurs dans le monde, si ce n'est au Japon, une classe dominante ne se montra aussi ardemment attachée à un code de l'honneur tant "régional" que "personnel". Ce code conduisait parfois le gentilhomme à commettre des sottises, par exemple se battre en duel au moindre affront. Mais il développait en lui des qualités qui ont quasiment disparu de l'Amérique moderne : une courtoisie raffinée, une attitude chevaleresque, pour archaïque qu'elle paraisse, à l'égard des femmes, un sens délicieux de l'hospitalité, le goût de la conversation cultivée comme un art, l'entraînement aux vertus guerrières, telles que l'ardeur à se porter au combat dès que son pays ou sa région étaient menacés, la bravoure et l'endurance devant l'adversité."
Yves Berger, "Le Sud est un rêve d'éternité" in Splendeurs et misères du Sud profond vu par...les écrivains, Revue des Deux Mondes, avril 1999.


"Will Varner, qui était alors le propriétaire de l'Ancien domaine du Français, était le personnage le plus important du pays. C'était le plus gros propriétaire terrien, et l'administrateur de district dans son comté, le juge de paix dans le comté voisin et dans les deux le commissaire aux élections (...). Il était fermier, usurier, vétérinaire ; le juge Benbow de Jefferson disait de lui qu'on n'avait jamais vu un homme plus courtois saigner un mulet ou bourrer une urne. Il possédait la plus grande partie de la meilleure terre du pays et des hypothèques sur presque tout le reste. Il possédait le magasin, l'égreneuse à coton, le local qui servait à la fois de moulin à maïs et de forge, dans le village proprement dit (...). Il était mince comme un barreau de clôture et presque aussi long, avec des cheveux et une moustache roussâtres qui grisonnaient et de petits yeux durs et brillants d'un bleu ingénu ; il avait l'air d'un directeur d'école du dimanche méthodiste qui auraient contrôlé les billets dans un train de voyageurs pendant la semaine, ou l'inverse, et qui était propriétaire de l'église, ou peut-être du chemin de fer, ou peut-être des deux. Il était rusé, secret et jovial, avait un tour d'esprit rabelaisien et probablement encore une certaine vigueur sexuelle (...). Il était à la fois actif et paresseux ; il ne faisait absolument rien (son fils dirigeant toutes les affaires de la famille) et il y passait tout son temps, sorti avant même que le fils soit descendu prendre son petit déjeuner, parti on ne savait où sauf qu'on pouvait l'apercevoir sur son vieux cheval blanc et gras, un peu partout à quinze kilomètres à la ronde, à n'importe quelle heure ; et, au moins une fois par mois, au printemps, en été et au début de l'automne, le vieux cheval blanc attaché à un piquet de clôture à proximité, on pouvait le voir assis dans un fauteuil de fabrication maison posé sur la pelouse du domaine du Français maintenant envahie par une jungle de mauvaises herbes. (...) "J'aime venir m'asseoir ici. J'essaie d'imaginer ce que pouvait ressentir l'imbécile qu'avait besoin de tout ça (il ne faisait pas un geste, n'indiquait pas de la tête la montée de terrain derrière lui, vieilles briques et allées d'herbes enchevêtrées, le tout dominé par la ruine à colonnade), uniquement pour manger et dormir"."
William Faulkner, Le hameau.

Cardcow.com

mercredi 19 octobre 2011

Petites villes sur le déclin

Street Scene, Library of Congress

"Nous nous trouvons dans Church Street à longer le réseau de voies ferrées qui divise la ville de Railton en deux moitiés aussi vétustes et repoussantes l'une que l'autre. On dénombre à cet endroit un maximum de vingt voie parallèles, bloquées pour la plupart par un ou deux wagons rouillés. il y a un siècle, chaque voie aurait compté un train. La ville de Railton était en plein essor, et ses citoyens, confiants en l'avenir. C'est terminé. Malgré son nom, il n'y a plus une seule église sur Church Street, où nous sommes encore bloqués au carrefour. Alors qu'elle en comptait autrefois, à ce que l'on dit, une demi-douzaine. La dernière, une vieille chose de briques rouges décrépites, depuis longtemps désaffectées et couvertes de planches, fut rasée l'an passé. Plusieurs enfants s'y étaient introduits et le plancher avait cédé sous leur poids. Il ne reste plus, à sa place, qu'un grand terrain vague. Railton compte tellement de terrains vides, couverts de détritus, à l'instar de ces étendues balayés par le vent entre les vieux wagons du réseau ferré, que l'espoir y semble interdit. Non loin de l'endroit où nous sommes -l'intersection de Pleasant Street- un homme du nom de William Cherry, qui toute sa vie a travaillé pour les chemins de fer Conrail, s'est suicidé il y a peu en s'allongeant sur une voie au milieu de la nuit. On pensa à tort qu'il faisait partie d'un groupe de travailleurs licenciés la semaine précédente. Il venait, en réalité,  de prendre sa retraite avec tous les bénéfices de sa profession (...) Lorsqu'il n'y a plus de voitures, teddy tourne à gauche sur Pleasant Street, la plus déplaisante de toutes les rues de Railton. De chaque côté se dresse une rangée de façades décaties. L'hiver, lorsqu'il neige, il est impossible de monter Pleasant Street en voiture, car la pente est trop raide. Nous sommes déjà début avril, mais je crains que la Civic de Teddy n'y arrive pas."
Richard Russo, Un rôle qui me convient.

Richard Russo est expert dans la description des petites villes américaines, souvent sur le déclin alors qu'elles ont connu de belles années. La force de l'imaginaire est là, toute "l'Amérique profonde" (sans intention péjorative) est présente dans ces quelques lignes.