Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

jeudi 13 juin 2013

La fin de la lecture, vue par Philip Roth

"Ici, il y a encore une culture littéraire. Mais je ne me fais guère d'illusions. Dans le quartier où nous sommes en ce moment, le Upper West Side, ce périmètre qui va de la 72ème Rue à Columbia University et de Central Park au fleuve, il y a plus de lecteurs que dans le reste de New York, et peut-être même le reste des Etats-Unis. [...] Enfin, ne nous plaignons pas... Il y a encore des lecteurs. Mais ils sont si rares qu'ils pourraient tous se connaître et s'appeler par leurs noms. Pour moi, un lecteur est une personne qui lit au moins deux livres par mois, qui passe quatre heures tranquillement assis à lire un livre, sans rien faire d'autre. Et quand le livre est fini, qui y pense encore. C'est ça, un lecteur ! En Amérique, il ne doit pas en avoir plus de 50 000."
Entretien paru en novembre 1990, Le Nouvel Observateur.

"Plus que jamais. La culture littéraire est en voie de disparition, en Amérique. [...] C'est comme ça. L'ère où l'on croyait que les livres pouvaient enrichir la conscience humaine est révolue. La lecture n'est plus considérée comme un vecteur indispensable de la transformation personnelle. [...] La littérature aujourd'hui, c'est comme une radio qui émet, mais il n'y a pas de récepteurs. Les programmes sont intéressants, mais sont diffusés dans le vide. Les gens ne nourrissent aucune frustration puisque le besoin de lire lui-même a disparu. Il y a presque un vrai soulagement de s'être débarrassé d'une obligation encombrante".
Entretien paru en avril 1999, Le Nouvel Observateur.

dimanche 10 mars 2013

Tennessee Williams




"La nuit de l'iguane" est une pièce en trois actes, trop peu connue, écrite par Tennessee Williams en 1961. Les personnages sont attachants, complexes, et tellement humains. L'humour, permanent, souligne la profondeur des interrogations qui taraudent les personnages principaux. Larry Shannon, révérend reconverti dans l'organisation de voyages, est trop occupé par ses problèmes personnels pour s'ouvrir au monde et le voir tel qu'il est. A l'inverse, Hannah Jelkes est trop tournée vers les autres pour s'occuper de ses problèmes. Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer, à défaut de se comprendre, sous l'oeil sarcastique de la propriétaire de l'hôtel "La Costa Verde", Maxine Faulk : face aux interrogations et aux failles de Larry et Hannah, elle représente le réalisme "terre-à-terre", sûr et reposant, évitant les questions futiles, existancielles.
Un bon moment de lecture.




Du même auteur, je conseille aussi "Vingt sept remorques pleines de coton" (1946). Les personnages, très faulknériens, jouent au chat et à la souris, dans la chaleur du Mississippi. L'appât du gain et la manipulation servent de toile de fond à cette histoire, où l'inexorable montée des "forces de l'argent" se fait au détriment des "petits producteurs" (on retrouve le thème des Snopes). Au milieu de ce combat, la femme endure, comme elle le peut. Vision pessimiste de l'évolution d'un monde.




mercredi 9 janvier 2013


Coucher de soleil sur Nantucket, Massachusetts
(photographe : G. Gagliardi)


The road beyond the town.

Mickael EARLS (1912).


A road goes up a pleasant hill,

And a little house looks down:

Ah! but I see the roadway still

And the day I left the town.



The day I left my father's home,

It's many a year ago,

And a heart and hope were brave to roam

the long, long road I know.



The long, long road by hill and plain,

It's tired the heart might be:


But hope stayed bright in sun or rain,

And a Voice that called to me.



A Voice that called me over the hill

And out of the little town:

Ah! but I see the roadway still.

And the good house looking down.



The house that spake me never a No!

As I started brave away,

But said with a blessing, Go!

And followed me every day.



It followed me down the road of years,

For a father's heart is true,

And joy is sweet in a mother's tears

For the deeds her child may do.



The poor little deeds, all powerless

For the Kingdom of God would be,



Save in His mercy will He bless

The road that goes with me:


The road that left a pleasant hill,

Where a little house looks down:

Ah! but I bless the roadway still,

And the land beyond the town.




in Anthology of Massachusetts Poets, William Stanley Braithwaite Editor (2000).

lundi 1 octobre 2012

Triste Amérique

(Brent Bergherm)


"Est-ce que c'est ça, l'amour ?", dit l'un des personnages de ce recueil de nouvelles (1). Cette interrogation, R. Carver la laisse planer sur tout le livre, au fil des histoires. Une Amérique triste que celle dépeinte par l'auteur, où les personnages, souvent pathétiques, semblent errer dans leurs vies, buvant pour oublier, aimant par habitude, jusqu'à ce que la lassitude prenne le dessus. Le quotidien se charge d'user le rêve américain. A travers ces différentes histoires, R. Carver nous livre des tranches de vie sensibles, jusqu'à la cruauté parfois ("Une petite douceur", "Toute cette eau si près de chez nous"), mais profondément humaines. Des hommes et des femmes qui vivent dans un monde où le rêve n'est que l'envers de la vie réelle. Une écriture claire, précise, sans effet, rend les personnages attachants : l'histoire la plus banale fait ressortir l'humanité de ces hommes et femmes, leurs faiblesses, leurs failles et, toujours, cette recherche perpétuelle de l'amour.

(1) Carver Raymond, Débutants, coll. "oeuvres complètes 1", Editions de l'Olivier, 2010.




dimanche 23 septembre 2012

Encore des comparaisons !

J'aime toujours autant les comparaisons des auteurs américains. Voici ma dernière récolte :


L'histoire se passe à Salt Lake City, patrie des Mormons.

"Voici comment ça se passe. Un jour, on vit tranquillement sa vie, on ne se sent pas tellement bien mais pas tellement mal non plus. Et puis on l'attrape, la mormonite. On ne peut plus supporter ça. On a l'impression d'être une mouche dans un livre de prière. Tout le poids de Salk Lake s'abat sur vous".

" Sur ces mots, Tom sortit et la lumière vive de la journée sembla se refermer sur lui comme une main".

" Elle était morte soudainement, tombant à genoux au milieu de la foule qui se dispersait, laissant échapper de son sac à provisions un unique chou qui avait roulé sur le trottoir comme une petite tête décapitée".


 
 Du Sang sur l'Autel de Thomas H. Cook, Points.

dimanche 5 août 2012

Hemingway contre Fitzgerald






" En Hemingway, Fitzgerald voyait l'homme idéal qu’il ne serait jamais : courageux, stoïque, maître de lui-même et de son destin. En Fitzgerald, Hemingway aimait la vulnérabilité et le charme que son moi idéal l’obligeait à mépriser. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour écrire une histoire captivante : la quête semée d’humiliations d’un écrivain pour gagner d’un auteur au cœur de pierre. "
Deux écrivains, deux hommes, une amitié qui tourne mal. Tout avait pourtant si bien commencé : le Paris des années 1920, où se rencontrent les plus brillants jeunes Américains, de John Dos Passos à Gertrude Stein ; Francis Scott Fitzgerald, le talentueux auteur de Gatsby le Magnifique ; Ernest Hemingway, qui cherche à publier son premier livre. Fitzgerald l’aide. Hemingway ne lui pardonnera pas".

Lecture d'été : ce livre est une plongée émouvante dans les relations compliquées entretenues par deux des plus grands auteurs américains, Hemingway et Fitzgerald.  Amitié, rivalité littéraire, jalousie, mais aussi argent, alcool... chaque épisode de la vie de l'un trouve une résonance dans la vie de l'autre. 
"Chacun faisait ressortir le pire chez l'autre" (M. Strater).

S. Donaldson , Hemingway contre Fitzgerald, Les Belles Lettres, 2003.








"Gatsby avait foi en cette lumière verte, en cet avenir orgastique qui chaque année recule devant nous. Pour le moment, il nous échappe. Mais c'est sans importance. Demain, nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus avant... Et un beau matin...  Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé".







"Robert Jordan les vit sur la pente, tout près de lui maintenant, et, au-dessous de lui, il voyait la route et le pont et les longues files de véhicules. Il était complètement conscient et il regarda bien et longuement toutes choses. Puis il tourna les yeux vers le ciel. Il y avait de gros nuages blancs. Il toucha de la paume les aiguilles de pin sur lesquelles il était étendu et l'écorce du pin derrière lequel il était allongé. Puis il se cala aussi commodément qu'il put, ses deux coudes dans les aiguilles de pin et le canon de la mitraillette appuyé au tronc de l'arbre."

lundi 23 juillet 2012

Point Omega





"La vraie vie n'est pas réductible à des mots prononcés ou écrits, par personne, jamais. La vraie vie a lieu quand nous sommes seuls, à penser, à ressentir, perdus dans les souvenirs, rêveusement conscients de nous-mêmes, des moments infinitésimaux"

Deux histoires en une.
New York. Un homme assiste, jour après jour, à la projection, au ralenti, de 24 Hour Psycho (cliquer ici). Souvent seul.
Une rencontre étrange entre un auteur de documentaire et un universitaire à la retraite, bientôt rejoints par la fille de celui-ci. Au coeur du désert.
D'habiles variations sur le pouvoir des mots et des images qui nous entraînent au plus profond de l'âme humaine. Un roman court (138 p), mais intense.




"Le jour finit par se transformer en nuit mais c'est une affaire de lumière et d'obscurité, pas de temps qui passe, de temps mortel. Rien à voir avec la terreur habituelle. Ici, c'est différent, le temps est énorme, voilà ce que je ressens ici, de manière palpable. Un temps qui nous précède et nous survit".

"Nous sommes une foule, une masse. Nous pensons en groupes, nous voyageons en armées.Les armées portent le gène de l'autodestruction. Une seule bombe ne suffit jamais. Le brouillard de la technologie, c'est là que les oracles complotent leurs guerres. Parce que l'heure est désormais à l'introversion. Le Père Teilhard connaissait une chose, le point oméga. Un bond hors de notre biologie. Posez-vous cette question. Devons-nous rester éternellement humains ? La conscience est à bout de forces."
Pour le "point oméga", cliquer ici

Don DeLillo, Point Omega, Actes Sud, 2010.