Old Taylor Rd, Oxford courtesy of American Memory Project, Library of Congress

samedi 20 décembre 2014

Rebell Yell







"Uncle Buck assists at Charles Bon's funeral, helping to carry the coffin from the house to the gravesite. He gives the rebel yell (the Confederate battle cry) in lieu of the Catholic ceremonial, the words of which none of the funeral party know."

Critical Companion to William Faulkner (A.N. Fargnoli, M. Golay, R.W. Hamblin), 2008.

The rebel yell : ici

jeudi 2 octobre 2014

Une génération de transition





"En ce qui concerne n'importe lequel de mes romans, j'essaie en premier lieu de raconter une histoire de la meilleure façon possible, la plus émouvante, la plus complète. Mais même cela n'est pour moi qu'accessoire, comparé à ce que je m'efforce de faire, si l'on considère mon oeuvre dans son ensemble. Je raconte la même histoire inlassablement, c'est-à-dire moi-même et le monde. [...] J'essaie de tout dire dans une seule phrase, entre la majuscule et le point final. J'essaie toujours de tout mettre dans une coquille de noix". (W.F., novembre 1944)

"La vie est monotone ici. Mais si je vais ailleurs, je dépenserai en deux semaines l'argent sur lequel je peux vivre deux mois ici, et alors il faudra que je retourne en Californie. A trente ans vous vous apercevez tout à coup que vous êtes devenu l'esclave d'un tas de choses inertes, de jour en jour plus encombrantes. Vous n'osez pas regarder tout ça de trop près, parce qu'il vous faudrait avouer qu'il n'y en a pas une dont vous ayez vraiment besoin. Mais vous les gardez encore vingt ans, parce que vous pensez que vous vous en débarrasserez un jour ou l'autre. Et puis un jour vous avez presque 50 ans et vous savez que vous ne vous en débarrasserez jamais." (W.F., décembre 1946)

Deux extraits tirés du recueil de la correspondance échangée entre William Faulkner et Malcom Cowley. Magnifique petit ouvrage ("sans prétention" pourrait-on dire) qui expose à nos regards les relations entre un critique littéraire avisé et un auteur oublié ou évité, chose à laquelle le premier veut remédier. Plus encore que la technique littéraire, le talent et le génie faulknériens (pour reprendre la différenciation de Malcom Cowley), c'est l'histoire d'une amitié, basée sur le respect et une compréhension réciproque, qui affleure à travers ces quelques lettres.
"Malgré toutes les différences qu'il y avait entre nous, dont la plus grande était son génie, nous étions des hommes de la même époque, avec les mêmes normes, nées en partie de nos lectures des mêmes auteurs et avec le même amour instinctif de la patrie américaine. Ses actions ne me paraissaient pas inexplicables, comme elles le semblaient à d'autres. C'étaient ses solutions à lui, originales et simples, comme s'il agissait sans précédents, devant des problèmes auxquels tous les écrivains de notre temps avaient à faire face." (M.C.)
"Nous étions presque tous des provinciaux dans un sens ou dans un autre. Il y avait des exceptions : Scott Fitzgerald, par exemple, était "moins" chez lui à la campagne, "les fesses dans les marguerites", qu'il ne l'était dans son faubourg résidentiel. La plupart des autres habitaient la province par goût, de préférence pas trop loin de New York ou de Paris, ou, dans le cas d'Hemingway, La Havane. Ou bien, encore, ils trouvaient un compromis comme Cummings, en passant six à sept mois à New York et le reste de l'année sur le sommet d'une colline, dans le New Hampshire. Peut-être pourrait-on nous appeler une génération de transition, portée à jouir des plaisirs de la ville, mais en même temps chasseurs, pêcheurs, avides de sentir la terre plutôt que l'asphalte sous leurs pieds. Nous avions des idées avancées en littérature et parfois en politique, mais nous étions des conservateurs dans nos autres aspirations, faisant retour sur le passé pour y retrouver nos rêves, dans ce pays que nous avions connu dans notre enfance, où les gens vivaient des vies séparées dans des maisons isolées et éparpillées ; où il y avait de vastes champs, où un jeune garçon pouvait chasser sans craindre les écriteaux portant : "défense d'entrer" et des grands bois, que les bûcherons n'avaient pas encore détruits et dans lesquels il pouvait errer avec une boussole. Je crois bien que nous avons été la dernière génération où ces goûts champêtres étaient considérés comme normaux. La poésie et le roman américains à partir de notre époque sont devenus de plus en plus une littérature de ville ou de banlieue". (M.C.)

Malcom COWLEY, William FAULKNER, Correspondance - lettres et souvenirs de 1944 à 1962 commentés par M. Cowley, Coll. "Du monde entier", Paris, Gallimard, 1970.

lundi 26 mai 2014

Les erres du faucon











C'est avec circonspection que j'ai abordé Les erres du faucon, une psychobiographie de William Faulkner, de Marc Saporta (1). Le coté "psy" me laissait craindre le pire. A tort. Même si le lecteur y trouve quelques pages jargonnantes, quelques idées ou suppositions qui peuvent paraître tirées par les cheveux (voire tordues pour les plus sceptiques), l'ensemble constitue une agréable lecture. Rien de bien nouveau pour qui connaît l'auteur Faulkner et le personnage de roman qu'il fût lui-même (ou qu'il fît de lui), mais des éclairages intéressants sur certains romans au regard de l'homme Faulkner. Les grands thèmes y sont tous décortiqués, analysés et exposés au jugement du lecteur : l'inceste évidemment, la question raciale, la terre... Les relations au sein du clan (même si on peut hésiter à utiliser ce mot tant la famille paraît éclatée) servent parfois de "révélateur", faisant apparaître les sous-entendus de certains romans. Une bonne lecture donc, à compléter utilement par celle de l'ouvrage de Bleikasten, William Faulkner, une vie en romans (2).

1. Saporta Marc, Les erres du faucon, une psychobiographie de William Faulkner, Coll. "biographie",
Paris, Seghers, 1989.
2. Bleikasten André, William Faulkner, une vie en romans - biographie, Coll. "Le cercle des poètes disparus", Paris, Editions Aden, 2007.

vendredi 14 mars 2014

lundi 26 août 2013

Flannery O'Connor, un peu d'humour.





« Quelques jours plus tard, Sarah Ham se taillada le poignet avec un couteau à légumes et eut une crise de nerfs. Du fumoir où il s’était enfermé après le dîner, Thomas entendit un hurlement déchirant, puis une série de cris aigus, puis les pas précipités de sa mère qui semblait galoper dans toute la maison. Il ne bougea pas. Il espéra tout d’abord que la fille s’était tranché la gorge, mais dut bientôt déchanter : elle n’aurait point, si tel avait été le cas, crié si longtemps ni avec une pareille vigueur. Il reprit sa lecture et bientôt les cris s’apaisèrent. Une minute après, sa mère fit irruption dans le fumoir et lui tendit son pardessus et son chapeau. « Il faut que nous la conduisions à l’hôpital, dit-elle. Elle a essayé de se supprimer. Je lui ai mis un garrot. Seigneur Dieu, suppose que ce soit toi que le désespoir ait poussé à faire une chose si affreuse ! ». Thomas resta de bois, se leva et mit chapeau et pardessus. « Nous allons l’emmener à l’hôpital, dit-il, et l’y laisser. ».
« Le confort du foyer », Mon mal vient de plus loin, 1960.

« Quand je suis partie pour l’Université d’Iowa, je n’avais jamais entendu parler de Faulkner, de Kafka et de Joyce et n’avais, évidemment, jamais ouvert un de leurs livres. Je me suis donc jetée sur tout en même temps, au point qu’aucun écrivain, je crois, ne m’a influencée, à lui seul. J’ai lu tous les romanciers catholiques, Mauriac, Bernanos, Bloy, Greene, Waugh, et des tas de dingues comme Djuna Barnes et Dorothy Richardson et Virginia Woolf (ce qui est, évidemment, injuste pour cette chère dame). J’ai avalé aussi les meilleurs auteurs du Sud, Faulkner, les Tate, K.A. Porter, Eudora Welty, et Peter Taylor. J’ai découvert les Russes, moins Tolstoï que Dostoïevski, Tourgeniev, Tchekhov, et Gogol. J’ai adoré Conrad dont j’ai lu presque tous les livres. J’ai totalement sauté des gens comme Dreiser, Anderson (à part quelques nouvelles) et Thomas Wolfe. Il me semble avoir appris des choses chez Hawthorne, Flaubert, Balzac et quelques-une chez Kafka, bien que je n’aie jamais été capable de finir un de ses romans. J’ai lu presque tout Henry James, par sens du devoir et parce qu’avec lui j’ai l’impression qu’il m’arrive quelques chose, au ralenti, mais qui se produit tout de même. J’ai admiré les Vies de poètes du Dr Johnson, mais, toujours, ce qui émerge de ma mémoire, ce sont les Contes comiques d’Edgar Allan Poe. Je suis sûre qu’il les a écrits en état d’ébriété ».
L’habitude d’être, 28/08/1955.

« Savez-vous ce que les entrepreneurs des pompes funèbres font des cendres des gens incinérés ? Ils les envoient aux cannibales qui n’ont qu’à ajouter de l’eau pour consommer une sorte « d’humanité instantanée », comme le café soluble ».
Lettre à S. et R. Fitzgerald, 01/12/1957.

« … Il y a deux semaines, j’ai été au collège Wesleyen pour lire Les Braves Gens ne Courent pas les rues. Ensuite, j’ai assisté à un cours pour répondre aux éventuelles questions. Il y avait là deux jeunes professeurs et l’un d’eux, du genre sérieux, m’a demandé : « Mademoiselle O’Connor, pourquoi votre Désaxé porte-t-il un chapeau noir ? ». Je lui ai expliqué que la plupart des paysans, en Géorgie, portait des chapeaux noirs. Il a paru déçu et a insisté : « Mais, Mademoiselle O’Connor, le Désaxé représente le Christ, n’est-ce pas ?  - Pas le moins du monde, ai-je protesté.  – Dans ce cas, s’est-il étonné, quelle signification peut-on donner au chapeau ?  - Je n’en vois qu’une : il sert à couvrir la tête », ai-je répondu. Là-dessus, on m’a laissé tranquille. Voilà ce qu’est devenu l’enseignement de la littérature. »
Lettre au Pr T.R. Spivey, 25/05/1959.

« Hier, pour la première fois, j’ai vendu un couple de paons. Mes clients sont arrivés dans une longue voiture blanche. La dame portait des shorts très courts. Ils avaient manifestement beaucoup d’argent et n’y étaient pas encore très habitués. Elle pilote son petit avion personnel, possède deux ratons laveurs et un chien tibétain (si j’ai bien compris). Lui a envie de se lancer dans l’élevage des paons, des faisans et des grenouilles. Ils sont rentrés chez nous, ont admiré la maison, et la dame m’a dit : « Nous avons été à Macon pour regarder de vieux meubles rustiques français. J’ai envie de m’acheter un siège d’amour ». Son mari est ingénieur des Ponts et Chaussées. Il m’a raconté qu’il avait un ami écrivain dans le Mississipi. Je lui ai demandé qui c’était. « Un certain Bill Faulkner, m’a-t-il répondu. Je ne sais pas ce qu’il vaut comme auteur mais c’est un sacré chic type ». Je lui ai assuré que c’était aussi un sacré bon professionnel… ».
Lettre à E. Bishop, 02/08/1959.

« Plus je rencontre d’étudiants, plus mes réponses sont vagues. L’un d’eux, au Texas, m’a demandé en me toisant d’un œil inquiet : « Miss O’Connor, quand vous écrivez, à quelles motivations obéissez-vous ? – Je ne suis bonne qu’à ça », ai-je répondu. J’ai compris à son expression qu’il pensait que sa question dépassait de loin mes facultés intellectuelles… »
Lettre à J. Hawkes, 24/11/1962.
« K .A. Porter m’a envoyé une critique d’un magazine français, L’Express, sur Les Braves Gens ne courent pas les rues. Cela me paraît plus élogieux que judicieux. Mais j’apprécie qu’on dise que je vis dans un vaste domaine, parmi une foule de bête ».
Lettre à T. Stritch, 04/07/1963.

« Pour autant que j’y comprenne quelque chose, il me semble que la médecine et la maladie se font la course, la première arrivée vous tuera ».
Lettre à M. Lee, 01/07/1964.

Flannery O’Connor, 25 mars 1925 – 03 août 1964.


jeudi 13 juin 2013

La fin de la lecture, vue par Philip Roth

"Ici, il y a encore une culture littéraire. Mais je ne me fais guère d'illusions. Dans le quartier où nous sommes en ce moment, le Upper West Side, ce périmètre qui va de la 72ème Rue à Columbia University et de Central Park au fleuve, il y a plus de lecteurs que dans le reste de New York, et peut-être même le reste des Etats-Unis. [...] Enfin, ne nous plaignons pas... Il y a encore des lecteurs. Mais ils sont si rares qu'ils pourraient tous se connaître et s'appeler par leurs noms. Pour moi, un lecteur est une personne qui lit au moins deux livres par mois, qui passe quatre heures tranquillement assis à lire un livre, sans rien faire d'autre. Et quand le livre est fini, qui y pense encore. C'est ça, un lecteur ! En Amérique, il ne doit pas en avoir plus de 50 000."
Entretien paru en novembre 1990, Le Nouvel Observateur.

"Plus que jamais. La culture littéraire est en voie de disparition, en Amérique. [...] C'est comme ça. L'ère où l'on croyait que les livres pouvaient enrichir la conscience humaine est révolue. La lecture n'est plus considérée comme un vecteur indispensable de la transformation personnelle. [...] La littérature aujourd'hui, c'est comme une radio qui émet, mais il n'y a pas de récepteurs. Les programmes sont intéressants, mais sont diffusés dans le vide. Les gens ne nourrissent aucune frustration puisque le besoin de lire lui-même a disparu. Il y a presque un vrai soulagement de s'être débarrassé d'une obligation encombrante".
Entretien paru en avril 1999, Le Nouvel Observateur.

dimanche 10 mars 2013

Tennessee Williams




"La nuit de l'iguane" est une pièce en trois actes, trop peu connue, écrite par Tennessee Williams en 1961. Les personnages sont attachants, complexes, et tellement humains. L'humour, permanent, souligne la profondeur des interrogations qui taraudent les personnages principaux. Larry Shannon, révérend reconverti dans l'organisation de voyages, est trop occupé par ses problèmes personnels pour s'ouvrir au monde et le voir tel qu'il est. A l'inverse, Hannah Jelkes est trop tournée vers les autres pour s'occuper de ses problèmes. Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer, à défaut de se comprendre, sous l'oeil sarcastique de la propriétaire de l'hôtel "La Costa Verde", Maxine Faulk : face aux interrogations et aux failles de Larry et Hannah, elle représente le réalisme "terre-à-terre", sûr et reposant, évitant les questions futiles, existancielles.
Un bon moment de lecture.




Du même auteur, je conseille aussi "Vingt sept remorques pleines de coton" (1946). Les personnages, très faulknériens, jouent au chat et à la souris, dans la chaleur du Mississippi. L'appât du gain et la manipulation servent de toile de fond à cette histoire, où l'inexorable montée des "forces de l'argent" se fait au détriment des "petits producteurs" (on retrouve le thème des Snopes). Au milieu de ce combat, la femme endure, comme elle le peut. Vision pessimiste de l'évolution d'un monde.