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samedi 23 juin 2018

Pensées pour moi-même





Avant de lire les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle, je conseille la lecture de notices ou d'ouvrages sur le stoïcisme, son histoire et ses évolutions (1). En effet, pour bien comprendre les Pensées, il est nécessaire de connaître les bases de ce grand mouvement philosophique, car notre idée de ce qu'est une personne "stoïque" risque d'amener quelques fâcheuses erreurs d'interprétation (place de l'homme dans la société, relations entre les hommes, juste/injuste...).
Comme souvent pour ce type d'ouvrage, il ne faut pas le lire d'une traite, mais suivre le rythme des "livres". Il faut aussi ne pas hésiter à relire certaines pensées plusieurs fois, y revenir le lendemain, y réfléchir une fois l'ouvrage refermé. Le stoïcisme est un combat permanent. La lecture des Pensées pour moi-même aussi, pour qui veut réellement les comprendre.

"Essaie de voir comment te réussit la vie de l'homme de bien qui a pour agréable la part qui lui est assignée sur l'ensemble, et qui se contente d'être juste dans sa propre conduite et bienveillant dans sa façon d'être".
 "Il reste donc à te souvenir de la retraite que tu peux trouver dans ce petit champ de ton âme. Et, avant tout, ne te tourmente pas, ne te raidis pas ; mais sois libre et regarde les choses en être viril, en homme, en citoyen, en mortel. Au nombre des plus proches maximes sur lesquelles tu te pencheras, compte ces deux : l'une, que les choses n'atteignent point l'âme, mais qu'elles restent confinées au-dehors, et que les troubles ne naissent que de la seule opinion qu'elle s'en fait. L'autre, que toutes ces choses que tu vois seront, dans la mesure où elles ne le sont point encore, transformées et ne seront plus. Et de combien de choses les transformations t'ont déjà eu pour témoin ! Songes-y constamment. "Le monde est changement ; la vie, remplacement" Démocrite".
 "S'il se trompe, instruis-le avec bienveillance et montre-lui sa méprise. Mais, si tu ne le peux pas, n'en accuse que toi, ou pas même toi".
 "Tu n'es qu'une âme chétive qui soulève un cadavre, comme disait Epictète".


(1) par exemple, GOURINAT Jean-Baptiste, Le stoïcisme, coll" Que sais-je", PUF, 2017 (4ème édition)

dimanche 29 avril 2018

L'enracinement









 "Un gouvernement qui emploie des paroles, des pensées trop élevées pour lui, loin d'en recevoir un éclat quelconque, les discrédite et se ridiculise".


Je ne sais pas si les élèves étudient encore Simone Weil (Weil, avec un W), ni même si cela était le cas auparavant. Il faut dire que la lecture, et la compréhension, de ce texte, L'enracinement, n'est pas facile. L'auteur écrit une prose sèche, qui peut paraître péremptoire parfois pour un lecteur contemporain. Et certaines idées prêtent aujourd'hui à sourire à l'heure de la mondialisation (les solutions pour les ouvriers par exemple).
Pourtant, il faut lire ou relire ce texte. Car au-delà des apparences, et bien qu'écrit en 1943, il traite d'un sujet on ne peut plus actuel, celui du besoin d'enracinement. L'auteur y rappelle qu'une société est une chose mortelle, comme une civilisation, une culture, une patrie ou une nation. Que l'accumulation de droits ne devrait être possible que pour autant que les devoirs y soient respectés et prédominants. Ou que le communautarisme n'est pas une fatalité pour peu que les communautés réelles soient respectées et encadrées. 
Un texte pour réfléchir sur l'évolution du monde d'aujourd'hui et de demain.


"L'Etat est une chose froide qui ne peut être aimée ; mais il tue et il abolit tout ce qui pourrait l'être ; ainsi on est forcé de l'aimer, parce qu'il n'y a que lui. Tel est le supplice moral de nos contemporains".




lundi 2 avril 2018

Crime et châtiment



"Comprenez-vous, Monsieur, comprenez-vous ce que cela signifie quand on n'a plus où aller ? La question que Marmeladov lui avait posée la veille lui revint tout à coup à l'esprit. Car il faut que tout homme puisse aller quelque part". 

S'attaquer à l’œuvre de Dostoïevski, Crime et châtiment, nécessite un peu de courage. Surtout lorsque le dernier contact avec la littérature russe date des années de faculté (autant dire le siècle dernier), avec Les âmes mortes de Gogol. Et puis, tous ces noms un peu difficiles à retenir, ces multiples prénoms, ces diminutifs qui n'en sont pas, ne facilitent pas la prise en main. Et comme pour toute œuvre considérée comme telle, le lecteur en attend beaucoup. Beaucoup trop ? A tort peut-être ? Raskolnikov est un être torturé. Le récit l'est aussi. Raskolnikov s'interroge sur le monde qui l'entoure, sur les êtres qu'il côtoie, sur ceux qui le croisent, sur le pouvoir, sur la volonté des hommes et les pouvoirs qui en découlent, sur les fragilités de l'âme humaine, sur la misère, sur les relations filiales... En fait, Raskolnokov nous donne à penser le monde tel qu'il le voit, ou mieux encore tel qu'il le ressent. De ce fait, de longs monologues sillonnent le roman (rien d'effrayant pour les Faulknériens) : la pensée laisse libre court à sa schizophrénie, sollicitant l'attention soutenue du lecteur. A l'heure de la vidéo, du tout-tout-de-suite, de l'immédiateté, de l'instantanéité, ces longs passages rebuteront les moins courageux des lecteurs. A tort. Il faut les lire, lentement. Certains passages, particulièrement réussis, semblent rythmés par les pulsations d'un cerveau qui entre en ébullition. La détresse et la fureur s'y mélangent. La misère aussi.
En dépit des innombrables rebondissements (E. SUE à Saint-Pétersbourg), le roman peut paraître inégal dans son rythme, un peu long diront certains. Les personnages sont bien campés, avec des descriptions qui se complètent de chapitre en chapitre. Les hommes (Raskolnikov, Loujine...) représentent souvent la part sombre de l'humanité ; les femmes (Dounia, Sonia...) souvent souffrent, mais amènent la rédemption. Les enfants sont les témoins et les victimes de ce monde russe où la misère broie inexorablement le petit peuple.
Au final, une œuvre dense, avec une intrigue qui donne un rythme assez soutenu au départ, mais qui s'alanguit peu à peu. Un roman à l'image de l'âme russe telle que les Occidentaux l'imaginent : passionnée et mélancolique à la fois, dure au mal, torturée, révoltée, mais humaine, profondément humaine.


dimanche 16 octobre 2016

Un après-midi de Faulkner

"J'ai le désir sans nom de m'en aller
Dans un lointain minuit silencieux
où des ruisseaux chuchotent solitaires
Sur les sablons par la lune pâlis
Où vont tournant des rondes de blondeurs
Sous les regards que la lune vieillie
Pose à travers les arbres gémissants,
Jusqu'au moment où leurs cheveux se poudrent
De rosée claire, et leurs membres, leurs fronts,
S'en vont lassés et tristes sur la brise
Comme les fleurs que les branches effeuillent
Et puis soudain sur tous ceux-là descend
Comme le coup d'une cloche profonde.
Et les voici qui dansent, mus et froids-
C'est le grand coeur terrestre qui se brise
A l'aube, avant la vieillesse du monde"
W. Faulkner "l'après-midi d'un faune"


dimanche 24 avril 2016

Réciprocités faulknériennes



Lorsque qu'un livre s'intitule "William Faulkner, sa vie et son oeuvre", il est permis de craindre le pire. A tort pour ce qui est de l'ouvrage de David Minter (1). Les péripéties de la vie de Faulkner viennent en contrepoint d'explications sur le genèse des nouvelles et romans, apportant des précisions intéressantes. Sans être du niveau de l'ouvrage de André Bleikasten (2), voilà une biographie agréable à lire, une bonne introduction pour qui voudrait entrer en douceur dans l'univers torturé de Faulkner.

"Ma perspective dans ce livre est double. D'une part, je raconte la vie de Faulkner et tente d'en traduire le sens ; de l'autre, je discute de ses écrits, publiés ou inédits, en essayant de les éclairer. Mais je n'ai pas voulu faire de cet ouvrage une somme de nouvelles informations sur la vie de Faulkner [...] C'est donc d'un point de vue particulier que je sollicite ici l'attention du lecteur ; cela tient à l'histoire que je tente de raconter -histoire des profondes réciprocités entre la vie mal réussie de Faulkner et ses chefs-d'oeuvre, de leurs relations et de leurs mutuelles remise en cause" (Préface).

1- David MINTER, William Faulkner, sa vie et son oeuvre, Balland, 1984
2- André BLEIKASTEN, William Faulkner, une vie en romans, Editions Aden, 2007

samedi 16 avril 2016

Hemingway, es pasado !





"For Whom The Bell Tolls, rédigé après la fin des hostilités et publié en 1940, jette un regard rétrospectif sur la guerre qui se veut « objectif » et équilibré. En fait, comme nous avons essayé de le démontrer ailleurs 26, il n'en est rien : il s'agit d'une vision bien « orientée » du conflit, celle du «compagnon de route » libéral et apolitique que fut Hemingway pendant toute la guerre. Et ceci malgré le célèbre portrait d'André Marty, qui reste justement une exception, ou les passages éparpillés dans le roman qui paraissent critiques vis-à-vis des communistes. A cet égard le compte rendu de D. Macdonald au moment de la parution de l'ouvrage, le point de vue de la dissidente Partisan Review, garde toute son acuité 27. Pertinent aussi est l'essai de l'écrivain espagnol Arturo Barea, qui participa à la guerre et pour qui le roman est peut-être fidèle à Hemingway, mais non à l'Espagne ou à la guerre 28. Ceci malgré des aspects remarquables : Barea reconnaît notamment, à l'instar du grand historien de la guerre Hugh Thomas 29, la véracité avec laquelle Hemingway recrée le milieu de Gaylord's, l'état-major soviétique à Madrid. N'est-il pas intéressant de constater que ce fut peut-être ce plus grand des best-sellers d'Hemingway, à beaucoup d'égards reflet fictif du discours idéologique dominant sur la guerre, qui modela l'image de cette guerre dans l'esprit des générations ultérieures ? Il existe d'autres perceptions de la guerre d'Espagne, certes, mais elles restent en général cachées dans les pages poussiéreuses de textes lus maintenant par les seuls spécialistes."

Sayre Robert. "La guerre d’Espagne : écrivains et écriture aux Etats-Unis". In: Revue Française d'Etudes Américaines, N°55, février 1993. Les années 1930. pp. 43-55.