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dimanche 8 juillet 2018

Les Frères Karamazov




"(...) le secret de l'existence humaine consiste, non pas seulement à vivre, mais encore à trouver un motif de vivre".




"Des siècles passeront et l'humanité proclamera par la bouche de ses savants et de ses sages qu'il n'y a pas de crimes et, par conséquent, pas de péchés ; qu'il n'y a que des affamés".


      Après le psychologisant Crime et châtiment, le théologisant Les Frères Karamazov. Dit comme ça, j'ai bien conscience que cela ne donne pas très envie de lire cet épais roman, le dernier de Dostoïevski. Et pourtant.
      Comme pour Crime et châtiment, un meurtre sert de fil rouge au roman ; nous y retrouvons aussi les multiples rebondissements qui parfois désorientent (à dessein ?) le lecteur. De nombreux personnages émergent au fil des pages. Des seconds rôles prennent de l'importance, puis disparaissent, quand d'autres reviennent au fil des épisodes sans jamais s'imposer. Le personnage de second rôle est une figure importante chez Dostoïevski, venant souvent en contrepoint d'un personnage principal, permettant par la-même d'en faire ressortir toute la spécificité.
      L'intrigue est simple : Les Frères Karamazov, c'est l'histoire d'une famille qu'un crime va bouleverser. Les trois  frères, Ivan, Dimitri et Aliocha, vont vivre cette épreuve différemment, selon leurs caractères, même si aucun n'échappe à une profonde introspection. Car, au-delà du fait de savoir qui est le coupable, Dostoïevski amène le lecteur à s'interroger sur la notion même de culpabilité et son corollaire terrestre de justice. Culpabilité individuelle contre culpabilité universelle. Justice humaine et justice divine. Progressisme ou conservatisme. Aucune de ces oppositions n'a de réponse simple. Nous retrouvons la critique du système judiciaire mise en oeuvre dans Crime et châtiment. Mais Dostoïevski élargit ici le champ de la réflexion en accentuant l'imprégnation religieuse de l'interrogation. Aliocha, l'un des trois frères, celui qui a choisi la vie monastique, sert de catalyseur : il sert de dépositaire aux réflexions sur la foi, la justice, la responsabilité de l'homme (1)... Le passage "Le grand inquisiteur" est devenu un morceau d'anthologie (à lire et à relire) de la littérature russe : on y trouve tout ce qui la fait aimer...  ou détester !
      Les Frères Karamazov constitue une plongée dans la société russe des petites villes de province, encore fortement rurales, où progressisme et traditionalisme, notamment religieux, s'affrontent, se mélangent et s'influencent. Où un tribunal peut devenir salle de théâtre, avec sa mise en scène, ses acteurs et son public.
Un livre à lire donc. Un seul bémol, la fin qui me semble moins réussie que pour Crime et châtiment.

"Mais assez de vers. Laisse-moi pleurer. Que ce soit une niaiserie raillée par tout le monde, excepté par toi. Voilà tes yeux qui brillent. Assez de vers. Je veux maintenant te parler des "insectes", de ceux que Dieu a gratifié de la sensualité. J'en suis un moi-même, et ceci s'applique à moi. Nous autres, Karamazov, nous sommes tous ainsi ; cet insecte vit en toi, qui es un ange, et y soulève des tempêtes. Car la sensualité est une tempête, et même quelque chose de plus. La beauté, c'est une chose terrible et affreuse. Terrible, parce qu'indéfinissable, et on ne peut la définir, car Dieu n'a créé que des énigmes. Les extrêmes se rejoignent, les contradictions vivent accouplées. Je suis fort peu instruit, frère, mais j'ai beaucoup songé à ces choses. Que de mystères accablent l'homme ! Pénètre-les et reviens intact".

(1) "En rendant l'homme responsable, le christianisme lui reconnait du même coup sa liberté", F.D., Journal d'un écrivain.

En complément :
ELTCHANINOFF E.,  « Coupable devant tous et pour tout ». Justice et culpabilité chez Dostoïevski, Études 2011/1 (Tome 414), p. 77-87.
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